Addicted

Extrait "Approche psychosomatique des conduites addictives alimentaires"

Extrait "Approche psychosomatique des conduites addictives alimentaires"

Pertinence du concept d'addiction dans les Tca: Trouble du comportement alimentaire

 

          Dans une perspective psychanalytique, les conduites de dépendance, quel que soit l’objet d’addiction, peuvent être vues comme l’expression d’une vulnérabilité de certains sujets liée à des aspects tant neurobiologiques, psychopathologiques que culturels et sociaux. Cette vulnérabilité les amène à adopter des conduites aux effets pathogènes car elles s’auto-renforcent et réorganisent la personnalité autour d’elle (verrouillage biologique, identité d’emprunt). Dans cette optique, les troubles des conduites alimentaires appartiennent bien au domaine de la pathologie addictive, d’autant que la structure psychopathologique sous-jacente à ces troubles est voisine de celle des autres addictions, que la place de la dépression y est également centrale et que l’évolution vers d’autres addictions toxiques (drogue, alcool, psychotropes) y est notable.

 

          Le phénomène de la toxicomanie s’inscrit par ailleurs dans un ensemble de conduites de consommation excessive aux effets plus ou moins pathologiques jusqu’à l’addiction avérée : alcoolisme, tabagisme, jeu pathologique, troubles des conduitesalimentaires (anorexie, boulimie), surconsommations médicamenteuses – en particulier de psychotropes –, mais aussi certaines conduites suicidaires et/ou de prises de risque.

 

         Ce qui nous fait regrouper des conduites différentes repose sur des constatations cliniques très voisines dans les différents troubles : début à l’adolescence avec réactivation d’événements de l’enfance; compulsivité avec obsessions idéatives concernant l’objet et la conduite addictive ; sentiment de manque ou de vide et impulsivité précédant le recours à l’objet addictif ; substitution à la dépendance à l’objet humain d’une dépendance à un objet inanimé, disponible et manipulable ; vécu de dépersonnalisation, sorte d’état second hypnotique et honte et culpabilité mêlées lors des crises ; dépressivité et lutte antidépressive lors des intervalles, manifestations somatiques lors du sevrage, maintien masochique de la conduite malgré les effets du manque et les conséquences délétères psychologiques, biologiques et sociales. Ces données cliniques traduisent selon nous une problématique narcissique commune. Si le « choix » du type de conduite et les effets de l’objet d’addiction sont différents, la genèse et la pérennisation de la conduite ont des points communs : failles narcissiques, structuration psychique précaire, actes anti-éprouvé et antipensée, mécanismes neurobiologiques de dépendance similaires.

Nous concevons la place, le rôle et la fonction du symptôme addictif dans ces conduites comme une défense contre des affects dépressifs non structurés, pressentis dangereux, et comme un élément qui permet d’accéder à une jouissance solitaire plus ou moins masquée ou permet une auto-stimulation face à un sentiment de vide désorganisateur.

 

          Sans avoir l’ampleur et la rapidité d’impact d’une drogue proprement dite, un comportement pathologique alimentaire est susceptible d’en avoir certains des effets psychotropes, que ce soit par l’apaisement qu’il peut procurer ou en étant source d’excitations stimulantes pour le psychisme, avec pour conséquence l’apparition d’un certain degré de dépendance (avec la difficulté de séparer dépendance physique et psychique), mais également d’accoutumance. Ces répercussions peuvent être le fait de phénomènes purement psychiques, en lien avec le sens et la fonction de ce comportement dans l’équilibre mental des patients ; ou résulter des effets psychiques propres des sensations procurées par le comportement (Brusset, 1990) ; ou de ceux des modifications biologiques, en particulier des neuromédiateurs, secondaires à la pratique de ce comportement. Ainsi les mécanismes neurobiologiques de la dépendance à un objet toxique se retrouvent dans les addictions comportementales comme les troubles des conduites alimentaires (Tassin, 1998).

 

          Du point de vue psychopathologique, on trouve aussi des traits de caractère et de comportement communs, les modalités habituelles de relation de ces patients étant dominées par une dimension narcissique que traduisent la quête du regard des autres, la fréquence des attitudes en miroir de celles d’autrui ou leur brusque renversement dans leur contraire. Même défense contre une dépendance affective perçue comme une vulnérabilité dépressive et, plus profondément, comme une menace pour l’identité du sujet et une aliénation à ses objets d’attachement.

C’est une clinique où le sujet essaie de substituer à ses liens affectifs relationnels, vécus comme d’autant plus menaçants qu’ils sont plus nécessaires, des liens de maîtrise et d’emprise. Le sujet introduit, entre lui et ses possibles attachements, des objets substitutifs qu’il pense maîtriser : nourriture dans la boulimie, drogue, etc.

 

          On voit ainsi apparaître clairement la fonction de contrôle de la distance relationnelle dans ce comportement. Il permet au sujet de maintenir des relations apparemment satisfaisantes et une vie sociale relativement diversifiée. Mais c’est au prix d’un clivage du moi. La relation addictive colmate ce qu’il y a de plus conflictuel mais aussi de plus investi dans le besoin relationnel, et elle laisse peu de place aux échanges, qui prennent, de ce fait, un caractère plaqué et superficiel.

 

          Dans d’autres cas, ce que Ph. Jeammet (1991) a appelé l’« appétence relationnelle ou objectale » demeure vive et constitue un facteur d’excitation insupportable pour le sujet, qui cherche à le neutraliser par une surenchère comportementale addictive.

Tout ce qui rappelle un lien affectif est rejeté. Le comportement devient de plus en plus délibidinalisé, mécanique, tandis que disparaît toute activité fantasmatique qui lui soit liée, et que l’auto-érotisme perd sa dimension érotique au profit du besoin de sensations violentes pour se sentir exister et non pour éprouver du plaisir.

 

 

 

Maurice Corcos



09/03/2012
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