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Troubles anxieux, TOC et TCA

Troubles anxieux, TOC et TCA

1. Troubles anxieux et troubles du comportement alimentaire : le lien

L’existence d’un lien entre troubles anxieux et troubles des conduites alimentaires (TCA) est reconnue depuis de nombreuses années par la communauté scientifique internationale. De nombreuses études ont porté sur ce sujet et leurs résultats sont conformes aux intuitions cliniques. Le taux de prévalence d’au moins un trouble anxieux au cours de la vie est de 25% (Keck et al., 1990) à 75% (Schwalberg et al., 1992).

Toutefois, il faut nuancer ce fait par le caractère très dispersé et inconstant des chiffres avancés. Il existe à cela plusieurs causes possibles :

  • Les critères diagnostiques employés ont sensiblement varié entre les années 80 et les années 2000. Le DSM III, puis le DSM III R et enfin le DSM IV ont vu évoluer les critères nosographiques des TCA et des Troubles anxieux en sorte que les valeurs trouvées d’une période à l’autre en sont modifiées. D’autres ont utilisé le SCID ou la CIM 10, ce qui majore encore cette cause de divergence.
  • La plupart de ces recherches ont été conduites sur des échantillons de population de taille modeste (30 sujets en moyenne) avec ou sans groupe contrôle. Sur ce dernier point, l’appariement des groupes contrôles a souvent été insuffisant en terme de limites d’âge ou de caractéristiques sociodémographiques.
  • Enfin, il existe relativement peu d’études incluant l’ensemble des troubles anxieux. Beaucoup excluent le stress post-traumatique, par exemple. Ceci tend à sous-évaluer nettement la réalité de la co-occurrence de ces deux catégories de troubles.

2. Les troubles du comportement alimentaire

Plusieurs études montrent que les troubles anxieux précèdent, le plus souvent, l’apparition du trouble du comportement alimentaire (TCA) (Brewerton et al., 1995 ; Bulik et al., 2003 ; Deep et al., 1995 ; Godart et al., 2003 ; Schwalberg et al., 1992). On pourrait en conclure que les troubles anxieux précoces seraient un facteur de prédisposition aux TCA.

Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et la phobie sociale sont les plus fréquemment associés aux TCA. Toutefois, la nature des troubles anxieux retrouvés varie en fonction du type de TCA.
Enfin, on ne retrouve qu’une seule étude ayant exploré la fréquence des TCA chez les patientes ayant un trouble anxieux (Black Becker et al., 2004). Il se peut, d’après cette recherche, que les TCA soient très sous-évalués par les cliniciens s’occupant de troubles anxieux. Pour leur part, ils ont trouvé 12% de TCA sur un total de 257 sujets anxieux.

La co-existence d’un trouble anxieux et d’un TCA péjore-t-il le pronostic thérapeutique ? Sur ce point plusieurs études tendent à l’affirmer (Fichter & Quadflieg, 2004 ; Gleaves et Eberenz, 1994 ; Goodwin et Fitzgibbon, 2002 ; Halmi et al., 1973…) mais d’autres démontreraient l’inverse.

3. Troubles obsessionnels et compulsifs (TOC)

L’association de ces deux pathologies est reconnue de longue date et s’est vérifiée empiriquement. Le nombre d’études sur ce sujet est considérable depuis les années 80. La fréquence d’un TOC en lien avec l’anorexie est estimée entre 50 et 100% dans les études les plus anciennes. Les plus récentes font encore état de valeurs nettement élevées quoique plus nuancées selon qu’on tient compte des antécédents sur la vie entière ou qu’on écarte ou non les rituels spécifiques du TCA (Halmi et al., 1991, 2003 ; Matsunaga et al., 1999 ; Pollice et al., 1997 ; Rastam et al., 1995). L’étude de Speranza et al. (2001) montre que le TOC est sensiblement plus fréquent chez les sujets présentant une forme avec purges.

Il existe une différence entre les obsessions et rituels présents dans l’anorexie et ceux présents dans les TOC. Il est donc essentiel de bien différencier les comportements non liés directement à l’alimentation, le poids ou la silhouette. De plus, les obsessions des TOC sont nettement plus égo-dystoniques que celles des TCA (Holden, 1990).

L’expérience de Keys (1950) a bien démontré que la dénutrition pouvait induire certains comportements obsessionnels chez des sujets sains. Elle tend à prouver que les TOC des TCA pourraient être induits par les carences alimentaires directement.

L’étude de Serpell et al. (2002) montre aussi qu’il existe une proportion nettement moindre de TOC chez les sujets suivis en ambulatoire par rapport à ceux traités en hospitalier.
Il existe, enfin, une prévalence plus forte des TOC dans l’anorexie plutôt que dans la boulimie. Dans cette dernière catégorie les obsessions les plus fréquentes portent sur l’ordre et la symétrie (Matsunaga et al., 1999).

Il existe une relation claire entre les traits de personnalité obsessionnelle et les TCA. Propreté, ordre, perfectionnisme, rigidité, scrupules et avarice sont retrouvés chez les sujets souffrant d’un TCA (Brumberg, 1988 ; Kasvikis et al., 1986 ; Rothenberg, 1986 ; Solyom et al., 1982). Les travaux de Fairburn (1997) suggèrent que le perfectionnisme et la pensée dichotomique sont en cause dans l’excès d’importance attachée au poids à la silhouette ainsi que dans la pratique de restrictions intenses et rigoureuses chez les sujets ayant un TCA.

Par extension, Lilenfeld et al. (1998) retrouvent un taux élevé (31%) de personnalité obsessionnelle et de TOC chez les sujets anorexiques et dans leur fratrie. Il suggère que ce trouble de l’Axe II serait un facteur de prédisposition majeur.

4. Phobie sociale

Hormis les TOC, très étudiés, les autres troubles anxieux l’ont été nettement moins (Hinrichson, 2004). Toutefois plusieurs auteurs démontrent que la phobie sociale est très répandue chez les TCA (Brewerton et al., 1995 ; Godart et al., 2000 ; Halmi et al., 1991 ; Iwasaki et al., 2000 ; Kaye et al., 2004 ; Laessle et al., 1987- 1989 ; Lilenfeld et al., 1998; Piran et al., 1985 ; Powers et al., 1988 ; Schwalberg et al., 1992).

Bien souvent, les résultats montrent que ce trouble serait plus fréquent encore que les TOC. Il semble bien qu’il pourrait avoir une valeur étiologique dans la survenue d’un TCA (Black Becker et al., 2004). Sa prévalence varie entre 16% (Kaye et al., 2004) et 88,2% (Hinrichson et al., 2003) dans l’anorexie et entre 17% (Brewerton et al., 1995 ; Powers et al., 1988) et 67,8% (Hinrichson et al., 2003) dans la boulimie. Une seule étude ne retrouve pas de différence entre les sujets TCA et les sujets du groupe contrôle (Rastam et al., 1995).

5. Agoraphobie

Ce trouble anxieux a une prévalence sur la vie entière, dans l’anorexie restrictive, estimée entre 0% (Laessle et al., 1989) et 3% (Godart et al., 2000). Dans la forme avec purges, elle atteint 20%. Cette fréquence est plus élevée que dans la population générale (Halmi et al., 1991). En ce qui concerne la boulimie, elle est située entre 0% (Schwalberg et al., 1992) et 17,4% (Laessle et al., 1989).

6. Trouble panique

La co-morbidité entre TCA et trouble panique est estimée à 10% par Kaye et al. (2004) et à 47% pour Piran et al. (1985). Dans la boulimie on retrouve aussi une importante variation entre les études : de 0% (Schwalberg et al., 1992) à 39% (Hudson et al.,1983). Dans l’anorexie restrictive elle se situe entre 4% (Lilenfeld et al., 1998) et 7% (Godart et al., 2000) tandis que dans la forme avec conduites de purges elle se situe à 15% (Laessle et al., 1989).

De leur côté, Walters et Kender (1995) affirment que la probabilité de développer un trouble panique est multipliée par 3,4 dans la population générale pour les sujets présentant des symptômes anorexiques.

7. Phobie spécifique

Il existe des écarts considérables entre les études en ce qui concerne la co-morbidité de ce trouble avec les TCA : de 0% (Piran et al., 1985) à 34% (Godart et al., 2000) dans l’anorexie et de 10% (Schwalberg et al., 1992) à 46% (Laessle et al., 1989) dans la boulimie.

Pour les sujets souffrant d’un TCA, le risque de développer ce trouble est multiplié par un facteur de 2 à 4 par rapport à la population générale (Kendler et al., 1991 ; Walters et Kendler, 1995).

8. Etat de stress post-traumatique (ESPT)

Il existe étonnamment peu de recherche sur ce thème en ce qui concerne les TCA alors que la notion d’abus sexuel est un facteur reconnu de prédisposition. Les chiffres de la prévalence varient entre 11% et 52% (Gleaves et al., 1998 ; Turnbull et al., 1997). Favarelli et al. (2004) montre que les femmes ayant subi une agression sexuelle sont nettement plus souvent confrontées à un TCA que celles qui n’en ont pas subi.

Il existe un lien clair entre le fait de subir un TCA et le fait d’avoir été une enfant abusée sexuellement (Johnson et al., 2002 ; Steiger et Zanko, 1990 ; Vize et Cooper, 1995 ; Welch et Fairburn, 1994). La méta-analyse de Smolak et Murnen (2004), d’autre part, a montré qu’il existe une relation entre un abus sexuel dans l’enfance et une tendance à développer un trouble alimentaire.

De leur côté, Mantero et Crippa (2002) considèrent que les sujets ayant un ESPT ont un risque de développer une boulimie 3,36 fois plus important. Par ailleurs, Tozzi et al. (2003) notent que plusieurs études font état du fait qu’un événement stressant majeur est souvent le déclencheur d’une anorexie. La nature précise de ces événements traumatiques demeure incertaine (Beumont et al., 1978 ; Casper et Jabine, 1986 ; Pyle, Mitchell et Eckert, 1981 ; Strober, 1984). Enfin, Kaye et al. (2004) ont observé que l’ESPT est environ 3 fois plus fréquent dans la boulimie que dans l’anorexie.

9. Trouble anxiété généralisée (TAG)

La prévalence d’un TAG sur la vie entière est de 31% dans l’anorexie pour Godart et al. (2000) et de 24% pour Lilenfeld et al. (1998). On retrouve des chiffres plus dispersés dans la boulimie avec 10% pour Powers et al. (1988) et 55% pour Schwalberg et al. (1992). Pour Kaye et al. (2004) la co-morbidité TAG-TCA est de 13% dans l’anorexie et de 7% dans la boulimie alors que Godart et al. (2003) trouve 45,6% et 31,4% respectivement pour ces deux catégories de TCA. Il semblerait que les formes avec purges de l’anorexie et de la boulimie sont plus souvent concernées par le TAG (Iwasaki et al., 2000).
La littérature démontre qu’il existe souvent une anxiété pré-morbide chez les femmes souffrant de boulimie (Bulik et al., 1997 ; Deep et al., 1995).

10. Conclusion

Il serait très important que les études à venir sur ce sujet très riche et essentiel dans la prise en charge des TCA soient plus fiables et que leurs résultats soient moins dispersés afin de faciliter la compréhension de l’étio-pathogénie des TCA. 

Le recours à des instruments d’évaluation mieux standardisés et conformes aux consensus internationaux le permettrait certainement. De même, des recherches portant sur des échantillons plus importants avec des groupes contrôles de meilleure qualité donneraient plus de certitudes. Enfin, il n’existe que bien peu de recherches portant sur la prévalence d’un TCA dans les populations de patient(e)s présentant un trouble anxieux alors que tout tend à prouver qu’il s’agit de sujets à haut risque de ce point de vue.

 

 

 

 

Dr Alain PERROUD - Psychiatre (Ville-la-Grand)



09/03/2012
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